La confusion sexuelle: quels enjeux pour les viticulteurs?
Comme de nombreux viticulteurs, nous sommes conscients au Château de Paraza de l’impact de notre activité sur l’environnement, sur les ressources naturelles, et sur la santé humaine. Nous avons donc fait le choix de l’agriculture raisonnée, avec de nombreuses pratiques culturales proches de celles de l’agriculture biologique. Notre réflexion se porte depuis de longs mois sur les possibilités et les risques de la mise en place de la confusion sexuelle pour lutter contre les tordeuses de la grappe dans nos vignes.
Le ver de la grappe, la tordeuse de la grappe, qui sont ces papillons qui font frémir les viticulteurs ?
Couramment appelées « ver de la grappe » ou « tordeuse de la grappe », il existe dans les vignes des chenilles issues de papillons nocturnes que l’on préférerait, en tant que viticulteurs, ne pas rencontrer. On répertorie quatre espèces principales de papillons : la cochylis et l’eudémis, les plus courantes, ainsi que la pyrale de la vigne et l’eulia.
Pour la cochylis, la larve possède une tête foncée et des cercles marrons foncés enserrés sur le corps. Elle reste peu mobile. Le papillon mesure 6 à 7 mm de long et 12 à 15 mm d’envergure. Il est facile de la reconnaitre grâce à sa couleur jaune ocre et à une bande marron très foncée sur les ailes antérieures. On la retrouve plutôt dans les regions où le climat est frais et humide.
L’eudémis est un peu plus petit que la cochylis. La larve possède une tête couleur miel et présente des couleurs variables de jaune vert à brun clair. En cas de dérangement, elle est capable de mouvements très vifs. Le papillon de l’eudémis mesure de 5 à 8 mm de long et de 10 à 13 mm d’envergure. Il possède des ailes antérieures claires avec des taches brunes, et des ailes postérieures grises. L’eudémis aime plus particulièrement les climats chauds et secs, et donc les vignes du Languedoc et de notre Minervois.
Vole, vole, beau papillon
Au début du printemps, vers la mi-avril (en fonction du climat et des températures), les papillons reprennent leur activité. Ils volent en général au crépuscule, et sont inactifs dès la fin de la nuit. Leurs vols sont dirigés par les odeurs, les odeurs végétales pour les femelles et la phéromone sexuelle pour les mâles. Une fois accouplés, les papillons femelles pondent leurs œufs (entre 50 et 80) sur les vignes et notamment les jeunes boutons floraux.
Mange, mange, ennemi du vigneron
Les vers de la grappe sont la cause d’importants dégâts sur les grappes du fait de leur déprédation directe. En effet, les chenilles de la première génération perforent les boutons floraux et mangent les pièces florales. À ce stade les dégâts peuvent être considérés comme limités. Cependant les ravages s’accentuent lorsque les chenilles se transforment en deuxième et troisième génération pour achever leur développement et perforent les grains pour se nourrir.
Ce ravageur a un impact d’autant plus négatif sur la santé des baies qu’il favorise également la propagation d’autres maladies. Les morsures ou perforations des chenilles favorisent notamment l’installation de microorganismes, dont le champignon Botrytis cinerea, agent de la pourriture grise. Les dégâts d’Eudemis peuvent être très importants. On peut observer plus de 50 à 70 % des grappes partiellement ou totalement détruites.
Comment protéger ses vignes contre les tordeuses de la grappe?
Un traitement préventif est toujours préférable à un curatif. En effet, il permet de limiter les dégâts larvaires et donc le risque de pourriture.
À l’ancienne
Les premières méthodes de lutte contre les vers de la grappe étaient mécaniques. Il y a d’abord eu l’échenillage, qui consistait à ramasser manuellement les chenilles dans les vignes, puis l’ébouillantage ou échaudage, qui consistait à verser de l’eau bouillante sur les ceps pour tuer les chenilles. Au 20ème siecle, des techniques chimiques ont été développées.
L’échaudage des ceps est pratiqué à l’eau bouillante à partir de jnvier. 4000 à 10 000 litres d’eau bouillante sont nécessaires pour traiter 1ha. (Photographies. Haut: ENSA Montpellier; bas gauche: mairie de Villefranche sur Saône; bas droite: dessin extrait de l’ouvage de P. Grison, INRA)
La confusion sexuelle
La confusion sexuelle est une technique de lutte contre les tordeuses de la grappe. Cette approche consiste à perturber la phase de rapprochement des papillons mâles et femelles par émission de phéromones synthétiques en grande quantité. Dans l’atmosphère saturée de phéromones, il est impossible pour les papillons mâles de localiser les papillons femelles. Ainsi, le nombre d’accouplements entre papillons est réduit. Grâce à la confusion sexuelle, il y a donc moins de vers dans les vignes et moins de dégâts sur les raisins.
Nous avons finalement sauté le pas cette année et décidé d’implanter la confusion sexuelle dans nos vignes. Nous avons donc procédé à l’installation de diffuseurs de phéromones sur la totalité de nos vignes au cours du mois de mars. Les premiers vols de papillons sont annoncés dès le début du mois d’avril. A voir s’il nous sera nécessaire de sortir nos filets pour partir à la chasse aux papillons.
Photos prises en mars 2018 lors de la pose dans les vignes du Château de Paraza des puffers et des raks de diffusion des phéromones de synthèse nécessaires au déploiement de la confusion sexuelle
Source : Sincères remerciements à Denis Thiéry, chargé de recherches à l’INRA, pour son ouvrage intitulé Vers de la grappe : les connaître pour s’en protéger, publié en 2005 et dont les informations sur les vers de la grappe, leurs cycles de développement, leurs ravages, et les méthodes de lutte contre ces nuisibles dont celle de la confusion sexuelle se sont révélées d’un grand intérêt.